> 18/10/15
institut nomade / Côté Cour
Trouver ce que l'on cherche, cela revient souvent à vérifier la validité de quelque chose que l'on savait déjà. La conséquence est que cela revient aussi à ne rien apprendre. En revanche, découvrir quelle était la question, c'est prendre le risque de rencontrer sa propre forme.
Institut nomade invite les spectateurs et les amateurs à mener une enquête sur le terrain du savoir profane, à partir des fragments de voix, de mots et d'images d'une mémoire collective à venir. Quel type de connaissance se construit dans l'expérience du regard et comment existe-t-elle ? Quelle est la place faite au spectateur dans les processus de création ? Quelle est l'essence de la figure de l'amateur ? Allons-voir ensemble.
Avec Stéphanie Brault, Anaîs Dumaine, Alexandre Le Petit, Flora Pilet, Sophie Quénon
Trois rencontres :
> 10h00 – 11h30 : écriture
> 14h30 – 15h30 : lecture
> 15h30 – 16h30 : performance
Entrée libre
La danse, un corps qui pense
(notes & fragments)
« Le Scenopoïetes dentirostris, oiseau des forêts pluvieuses d’Australie, fait tomber de l’arbre les feuilles qu’il a coupées chaque matin, les retourne pour que leur face interne plus pâle contraste avec la terre, se construit ainsi une scène comme un ready made, et chante juste au-dessus, sur une liane ou un rameau, d’un chant complexe composé de ses propres notes de celles d’autres oiseaux, qu’il imite dans ses intervalles, tout en dégageant la racine jaune de plumes sous son bec : c’est un artiste complet » (Gilles Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ?)
Si pour Gilles Deleuze la pensée peut être comparée à un chant, nous devrions ajouter que du chant à la danse il n'y a qu'un pas.
Ce geste c'est aussi celui de l'écriture. En tant que tel, ce geste créateur, geste d'auteur de soi, repose sur une rupture radicale avec la temporalité de l'immédiat comme loi définitive du désir. Écrire, c'est aussi opposer un espace-temps à un autre espace-temps, et vivre l'acte de pensée comme point de fuite d'une autonomie retrouvée.
Cette volonté d'indépendance et de mise en pratique du savoir et de l'expérience de chacun d'entre nous dans la tapisserie commune de notre culture peut être une tentative de résistance à la demande de supra-professionnalisation, qui crée une ségrégation des intérêts en donnant l'impression qu'on ne peut se définir que dans une spécialisation. Cette idée nous sépare les uns des autres et promeut un contexte social dans lequel les rapports comptables deviennent la règle de mesure des rapports inter-personnels, assez éloigné du projet d'une société en tant qu'ensemble. Mais que voulons-nous ?
Les conditions d'existence d'un milieu dépendent avant tout des individus qui l'habitent, et qui, reliant chaque point de leur désir en une vitesse commune, forment les traits d'une expérience sensible d'un Monde en partage.
La danse, le théâtre, la musique participent de la recréation permanente de ce contexte dans lequel des individus se réunissent pour former une collectivité, et cette réécriture doit pouvoir être pensée en tant que dynamique politique et sociale dans le sens d'une recherche et d'une mise à jour de ce qui constitue le bien commun, avant de pointer ce qui nous différencie et nous isole, et le cas échéant nous livre au cynisme des extrêmes.
Penser la philia, ce qui relie les Hommes entre eux, c'est non pas créer ou re-créer un collectif, mais du collectif, et repositionner l'échange, la pensée, l’interdisciplinarité et la rencontre comme axe central de nos rapports.
La recherche artistique crée et élabore des données qui proviennent de multiples sources, processus et matériaux, qui se présentent à travers des approches singulières et qui peuvent être requestionnées par le public. Ainsi, des pratiques artistiques peuvent être utilisées pour élargir la sphère de participation dans construction sociétale.
Laurence Louppe dans sa "Poétique de la danse contemporaine", nous rappelle à une autre rupture dans notre perception du corps pensant : " (la danse) veut, nous le verrons, que le corps, et surtout le corps en mouvement soit à la fois le sujet, l'objet et l'outil de son propre savoir. A partir de quoi une autre perception du monde peut s'éveiller. Et surtout une nouvelle façon de sentir et de créer. Or ce renouvellement de la perception concerne autant le spectateur de danse contemporaine que le danseur."
La fusion des pratiques artistiques avec celles des sciences humaines, en donnant au performer une nouvelle autonomie, ne lui impose-t-elle pas également de se questionner sur sa propre pratique ? Alors qu'il doit assumer la disparition progressive de la figure tutélaire du [metteur-en scène/chorégraphe/démiurge], ne doit-il pas requalifier dans son travail en propre, dans sa capacité à organiser sa pensée et les actions qui en découlent, la nature des liens qu'il construit avec le public ?
Penser la danse c'est penser à travers elle ce qui construit une culture. La question qui suit immédiatement peut-être celle de comment prendre part à son écriture, comment devenir auteur d'une culture locale et débordante, capable de transformer la boue acide du cynisme et de l'individualisme décomplexé et sans vergogne en terreau fertile du désir collectif.
Penchons-nous un moment sur la position du performer dans la voix publique, sur sa responsabilité en tant qu'auteur et sur les moyens qu'il se donne pour accomplir la mutation de l'espace de soi vers l'espace social, et voyons ce que la danse comme mode d'existence peut nous dire d'un certain rapport au Monde qui se construit toujours pour et par Nous.
Alexandre Le Petit / institut nomade
(with some stolen quotes from Lilia Mestre)