A propos du spectacle Folks, will you still love tomorrow en particulier et de l’ appropriation par la danse contemporaine d’autres danses en général.
Le spectacle Folk-S, Will you still love me tomorrow ? d’Alessandro Sciaronni était programmé en avril dernier, lors de la troisième partie du festival Danse D’Ailleurs au Centre Chorégraphique de Caen Basse-Normandie dont l’éditorial insiste sur le lien entre les pièces programmées et notre société contemporaine : « nous proposerons trois approches du monde actuel à l’épreuve de la danse contemporaine sous les prismes respectifs du multi-culturalisme, des identités « noires » ou du duel modernité/tradition.
Soit trois manières d’éclairer, avec l’acuité des artistes notre rapport au monde, à soi, aux autres ; ici et ailleurs. » .
FOLK-S s’inscrivait dans la thématique du duel modernité/ tradition.
Dans les danses traditionnelles, la danse a une fonction sociale : parade nuptiale, rassemblement, célébration. Le Schuhplattler, utilisée par le chorégraphe Alessandro Sciaronni est une danse liée à la parade nuptiale traditionnellement exécutée par des jeunes hommes pour impressionnées les jeunes femmes.
Dans le descriptif de la pièce il est précisé que FOLK-S marque le point de départ d’un triptyque, extrayant différentes pratiques corporelles de leur contexte d’origine en vue d’examiner leur construction et de les réactiver au présent. […] Entre contrainte et autonomie, jeu et transe, FOLK-S propose une expérience perceptive extrême sur les multiples variations d’une forme jusqu’à son épuisement. »
Il est étonnant de constater à quel point , le texte qui accompagnent une pièce est parfois tellement clair et précis qu’il résume parfaitement ce qui s’est produit sur le plateau. Cependant un beau résumé ne devrait pas suffire à décrire l’expérience du spectateur face à un travail artistique, il faudrait pouvoir y ajouter des sensations, des impressions, des questions qui ont émergés lors de la représentation . Il faudrait pouvoir dire que nous avons été transformé à la vue de ce spectacle, que « le jeu et la transe » des danseurs a modifié quelque chose en nous, que nous avons nous-même ressenti une variation de notre état intérieur, que nous sommes ressortis différents de notre arrivée.
Malheureusement, mis à part un profond agacement et une désagréable sensation d’être à nouveau prise pour une imbécile, je ne peux rien ajouter à la description initiale du spectacle. Les échanges qui ont d’ailleurs suivis la présentation n’étaient d’ailleurs que des commentaires superficiels sur l’endurance des danseurs, le son mal réglé, la longueur de la présentation, ou bien sur la véracité du défi lancé par un des danseurs au début du spectacle : « la danse se terminera au moment où le dernier danseur quittera le plateau ou bien lorsque le dernier spectateur quittera la salle. » Tout en sachant que la règle est faussée dès le départ, sur le programme il est annoncé la durée du spectacle. Nous savons qu’à 22h, un DJ vient mixer pour la fête déserte et désertée de clôture du festival.
Des commentaires formels donc, à l’image de ce qui vient de se produire sur le plateau.
Il semble exister un courant quelque peu cynique voir pervers chez certains chorégraphes qui s’emparent d’autres danses et les décortiquent jusqu’ à les vider de leur substance en les rendant désuètes voir ridicules, en les transformant alors en pastiche. A force de ne s’arrêter que sur la forme, le motif et le vider de sa substance, ce qui se passe sur le plateau ressemble de plus en plus à un message publicitaire ou un produit marketing. J’ai en tête ce passage de Trocadéro de José Montalvo dans lequel un danseur de Krump effectue un solo entourée de trois midinettes qui lui lancent des cris suraigus pour l’encourager. Nous sommes loin de l’ambiance de Rize du film de David La Chapelle qui retrace l’ histoire de cette danse. Loin des clichés que veulent en faire certains chorégraphes de danse contemporaine, impressionnés sans doute par l’énergie que dégage le Krump et d’autres danses dites urbaines, et peut-être surpris de voir enfin un corps habité, vivant ; il y a dans chaque danse traditionnelle, urbaine, populaire quelque chose qui échappe aux canons esthétiques et aux critères de virtuosité ambiants.
La danse classique avait déjà effectuer cette opération en utilisant les pas des danses populaires pour se les approprier et parce que Louis XIV ne pouvait plus les danser et qu’il était le Roi il décréta que la danse serait maintenant réservés aux danseurs formés dans son académie de danse royale.
A force de vouloir abstraire, d’extraire, de réduire, de simplifier, une partie des acteurs de la danse contemporaine finissent par dissoudre, tourner en dérision et faire preuve du même cynisme que les firmes industrielles qui pour vendre leur produit vont s’appuyer sur des valeurs symboliques tel que le terroir, la famille, l’amour, la tradition et les rendre obsolète. C’est l’impression que m’a laissé le spectacle BI-Portrait Yves-C de Mickael Philipeau. Et tout comme dans Folks qui prend un motif pour l’épuiser, Bi-Portrait tourne en ridicule peut-être inconsciemment des danseurs bretons en donnant à nouveau cette désagréable sensation que le chorégraphe déballe sa capacité à entrainer avec lui un groupe d’amateur dans un pastiche de danse bretonne version danse contemporaine et la transformer en gag grotesque qui n’a rien a envié à certains galas de fin d’année de groupes de danseurs amateurs.
C’est tellement dommage, car questionner cette notion de rituels, de tradition, de cultes aujourd’hui est un sujet brûlant de l’actualité.